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  • Le grand invité Afrique

    Tunisie: quinze ans après, «la révolution a complètement échoué», selon Moncef Marzouki

    17.12.2025

    Ce 17 décembre marque le 15e anniversaire de la « révolution du jasmin » en Tunisie. En 2010, dans la ville de Sidi Bouzid, le jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'immole par le feu devant le gouvernorat, après la saisie de ses marchandises par la police. Un geste de désespoir, qui illustre la détresse socio-économique dans le pays et la répression généralisée du régime de Ben Ali, qui sera renversé par une révolte populaire inédite un mois plus tard. L'événement inspire les populations du Maghreb et d'une partie du Moyen-Orient, et donne naissance à un vaste mouvement de contestation : le « Printemps arabe ». Quinze ans après, la Tunisie est désormais dirigée d'une main de fer par Kaïs Saïed. Quel bilan tirer de cette révolte populaire ? Notre grand invité Afrique est l'ancien dirigeant tunisien Moncef Marzouki, premier président élu démocratiquement après la chute du clan Ben Ali, et actuellement en exil. Il répond aux questions de Sidy Yansané. RFI : Quinze ans après l'immolation par le feu du jeune vendeur Mohamed Bouazizi, quel est l'héritage de la « révolution du jasmin » que son sacrifice a provoqué ? Moncef Marzouki : Quand on voit la situation actuelle, on se dit que la révolution a complètement échoué parce qu'on est revenu au point de départ, c'est-à-dire à l'ère Ben Ali. Nous avons un président, Kaïs Saïed, qui s'est fait élire à 90% après avoir éliminé tous ses concurrents. Le retour de la peur, le retour des prisonniers politiques, tous les chefs de partis politiques sont soit en exil, soit en prison, etc. Donc on est revenu vraiment à la case départ. Sauf que quelque chose de profond a été instauré ou instillé dans l'esprit du peuple tunisien : le goût de la liberté. À un moment donné, ils ont vu que la liberté de critiquer le président n'était pas dangereuse. Donc quelque chose est resté dans l'esprit des gens et je pense que ça va repartir. Maintenant, ceux qui disent que le printemps arabe c'est la fin ne comprennent rien à rien. Parce qu'en fait, le printemps arabe, il vient juste de commencer. Sidi Bouzid, à l'époque déjà, faisait partie de ces villes, de ces régions tunisiennes qui disent subir la marginalisation et l'abandon de l'État, « la hogra ». Quinze ans plus tard, est-ce que vous pensez qu'un acte aussi désespéré que celui de Mohamed Bouazizi puisse se reproduire en Tunisie ? En fait, ça a continué. La Tunisie est devenue malheureusement un pays où cette horreur absolue se répète tout le temps. Vous parlez de cette région déshéritée, mais toutes les régions de Tunisie sont restées déshéritées. Donc, au contraire, la Tunisie est en train de s'appauvrir chaque jour de plus en plus. Les classes moyennes sont en train de s'appauvrir. Le pouvoir actuel se retrouve exactement dans la même situation où se trouvait Ben Ali, à savoir qu’il a contre lui les classes les plus aisées parce qu’il leur a retiré toutes les libertés fondamentales sans apporter quoi que ce soit à la population et contre la pauvreté. Donc toute cette énergie contenue aussi bien chez le petit peuple, comme on dit, que chez la bourgeoisie, tout cela va exploser. Voilà encore une fois pourquoi le volcan va de nouveau exploser. Un volcan, dites-vous, d’abord provoqué par le sacrifice de ce jeune vendeur, qui dénonçait non seulement l'extrême précarité socio-économique de la jeunesse tunisienne, mais aussi l'asphyxie des libertés à tous les niveaux. Sur ces deux points, quelle évolution notez-vous entre la présidence de Ben Ali et celle de Kaïs Saïed, contre qui vous concentrez les critiques ? Les trois années où j'étais à la tête de l'État, nous avons vraiment mis en place un État de droit. La justice était indépendante, les libertés étaient respectées, il n'y avait personne dans les prisons pour des motifs politiques. Nous avons même commencé à lutter contre la corruption. Sauf que comme il y avait ce que j’appellerais un « veto régional » sur la démocratie en Tunisie et que nous manquions d’appui dans les démocraties occidentales, malheureusement, la révolution a échoué. Elle a échoué à cause des erreurs que nous avons commises, nous Tunisiens. Mais aussi, encore une fois, à cause de ce veto régional, essentiellement algérien. Le voisin algérien était une dictature corrompue et violente. Il était hors de question pour elle d'accepter un État, une démocratie tunisienne qui aurait pu donner le mauvais exemple si je puis dire. Et les généraux algériens avaient raison de se méfier de la révolution tunisienne, parce que le Hirak en 2019, c'était tout simplement la queue de la comète, c'était la continuation de ces révolutions. Tout le système politique arabe, aussi bien en Égypte que dans les Émirats arabes unis, en Arabie saoudite qu'en Algérie… Tout ce système-là se sentait menacé par cette vague de révolutions. Ils ont mis le paquet pour faire avorter ces révolutions. Ils l'ont fait avorter par la guerre civile en Syrie, par le coup d'État militaire en Égypte, par la guerre civile en Libye, par l'utilisation de l'argent sale, de l'information, de la désinformation et du terrorisme en Tunisie. Donc, il y a eu encore une fois un veto régional contre les révolutions démocratiques arabes. Le président Kaïs Saïed a su s'attirer les faveurs de l'Union européenne, notamment sur le volet migratoire. L’Europe est quand même un grand partenaire de la Tunisie. Comment voyez-vous l'évolution de la Tunisie sur les droits humains, la démocratie dans ce monde qui est en pleine redéfinition ? L'attitude des Européens, je ne peux pas dire que ça leur fait grand honneur. Ils appuient des dictatures, notamment le gouvernement italien, ils sont prêts à aider Kaïs Saïed à se maintenir au pouvoir. Ce sont des politiques de courte vue. On n'a pas arrêté de répéter à nos amis européens : « Vous pariez sur des régimes autoritaires, uniquement pour vous en servir comme gardes-frontières ». Mais ce n’est pas ça la solution. La solution, c'est qu'il y ait du développement social et économique. C'est comme ça qu'on règle le problème de fond. C'est pour ça que je dis et je répète, la démocratisation du monde arabe, c'est une affaire à l'intérieur du monde arabe et qu'il ne faut pas du tout compter sur les pays européens pour nous aider à cela. À part quelques déclarations hypocrites, je pense qu'il n'y a rien à espérer.

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    Guinée-Bissau: la Cédéao rejette le chronogramme de transition, «la meilleure posture qu’elle pouvait avoir»

    16.12.2025

    La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest « rejette catégoriquement le chronogramme de transition » en Guinée-Bissau. Lundi, l'organisation régionale a confirmé son désaccord avec la durée de la période d'exception proposée par les putschistes. La semaine dernière, la junte au pouvoir a adopté une charte de transition de 12 mois, jugée trop longue par la Cédéao. Dans son compte-rendu final, l'organisation a rappelé son intransigeance face au coup d'État militaire à répétition dans la zone, et s'est félicitée de la riposte régionale immédiate face à la tentative de putsch au Bénin. Le politologue béninois Mathias Hounkpe, membre de l'Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique, livre son analyse. Il répond aux questions de Sidy Yansané. RFI : Dans son communiqué final, après la clôture du sommet, la Cédéao condamne fermement le coup d'État en Guinée-Bissau. Mais surtout, elle rejette catégoriquement le chronogramme de transition de douze mois, annoncé par la junte. Comment vous analysez cette position ? Mathias Hounkpe : Etant donné que personne n'avait rien à reprocher au processus électoral, ça veut dire que si on le veut aujourd'hui, même dans un délai de trois mois, au plus six mois, on peut organiser les élections. Et donc je pense que cette posture de la Cédéao est plutôt, de mon point de vue, la meilleure posture qu'elle pouvait avoir. C'est une posture qui diffère par rapport aux multiples coups d'État qu'on a pu constater dans la dernière décennie ? Pour les autres coups d'État, la Cédéao était plutôt dans la posture non seulement de condamnation, mais de négociation avec les auteurs des coups pour décider de la durée. Cette fois-ci, même si la durée fixée par ceux qui ont fait le coup d'État est relativement courte, la Cédéao estime quand même qu’il faut organiser les élections dans un délai encore plus court. Dimanche, à l'ouverture du sommet, le président de la Commission, Omar Alieu Touray, a affirmé que le coup d'État empêché au Bénin a montré concrètement l'importance de la solidarité régionale. Et pourtant, quelques jours avant, il concédait que la Cédéao était « en état d'urgence », notamment à cause des putschs à répétition… Ce qui s'est passé au Bénin, ça a été une surprise pour quasiment tout le monde. Nous ne sommes pas habitués à ce genre de réaction de la part de la Cédéao en cas de tentative de coup d'État. Donc le président de la Commission Omar Touray a été lui aussi obligé de reconnaître qu’il ne s'attendait pas à ce genre de réaction. Même s'il se contredit, les faits étaient si inattendus qu’il a dû en tenir compte dans son analyse lors du Sommet. Vous considérez que cette intervention militaire régionale illustre un nouveau paradigme de la Cédéao ? Ou alors c'est une exception, du fait de la proximité avérée du dirigeant béninois avec ses homologues nigérian, ivoirien et français, ce dernier ayant d'ailleurs reconnu avoir apporté un appui logistique ? Quand vous lisez le compte-rendu de cette session, la Conférence des chefs d'État et de gouvernement charge la Commission de la Cédéao de proposer un cadre permettant une intervention rapide en cas de coup d'État. Ça veut dire que même si le 7 décembre 2025 était une exception, désormais la Cédéao est consciente qu’il est possible, si on est préparé, d'intervenir rapidement pour empêcher les coups d'État d'aller à leur terme. En revanche, aucune mention des changements constitutionnels en série ou des opposants écartés lors des élections, comme en Côte d'Ivoire, en Guinée, au Bénin, pour ne citer qu'eux. Ce sont pourtant les principaux arguments qui sont utilisés par les militaires pour justifier leurs coups de force ? Quand je lis correctement le compte-rendu, je vois de manière implicite la reconnaissance par les chefs d'État et de gouvernement des problèmes dans la sous-région en matière de respect des droits humains et d'organisation d'élections inclusives et compétitives. Rappelez-vous des événements récents en Tanzanie. Ce n'était pas un coup d'État. On a parlé de plus de 700 morts dans les manifestations parce qu'une bonne partie de la classe politique a été exclue du jeu électoral et démocratique. Si l’on veut la paix et la stabilité de la sous-région, il faut non seulement condamner les coups d'État et prévoir des mécanismes pour les empêcher, mais il faut également éviter les situations où on pourra jouer avec les libertés et droits fondamentaux des citoyens et créer des conditions d'élections non inclusives et non compétitives. Pourtant, de manière explicite, la Cédéao prend note des élections passées en Côte d'Ivoire, celles à venir au Bénin et salue la présidentielle prévue à la fin du mois en Guinée, alors même que dans ces trois pays, des opposants d'importance ont été écartés, emprisonnés ou exilés. N’est-ce pas là une contradiction majeure ? Je dirais que la Cédéao cherche par des voies diplomatiques à dire les choses sans vraiment les dire. C’est très important d’avoir mentionné dans ce même compte-rendu le rejet des récents coups de force et la nécessité d'organiser des processus électoraux inclusifs et compétitifs. Je suis resté un peu sur ma faim, justement, car de la même manière que les dirigeants chargent la Commission de créer un cadre permettant une intervention rapide en cas de coup d'État, je me serais attendu à ce qu’ils la chargent également de prévoir des mécanismes permettant d'interpeller les pays dans lesquels on pratique l'exclusion en matière électorale et où on réprime les libertés et droits fondamentaux des citoyens.

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    CAN 2025: «Le Maroc va jouer à la maison en étant au sommet de sa forme»

    15.12.2025

    Le coup d'envoi de la 35ème édition de la Coupe d'Afrique des nations de football sera donné dimanche prochain (21 décembre) au Maroc. Elle durera jusqu'au 18 janvier. Quels sont les grands favoris ? L'Afrique est-elle enfin reconnue à sa juste place dans le football mondial ? Joseph-Antoine Bell a été un grand international camerounais. Aujourd'hui, il est consultant pour RFI, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier, en ligne depuis Yaoundé. RFI : Joseph-Antoine Bell, le Maroc accueille cette compétition. Son équipe est la première nation africaine au classement Fifa (12ᵉ). Est-ce que du coup ce pays n'est pas le super favori ? Joseph-Antoine Bell : Oui ça arrive très rarement. C'est-à-dire qu'un pays qui est au sommet garde la forme et soit organisateur. Et là, le Maroc, ils ont une chance inouïe, ils sont en forme et ils organisent. Ils ont la chance de jouer chez eux. Souvent, jouer à la maison comporte aussi le revers de la médaille : c'est qu'on a la pression. Mais la pression, on la gère mieux quand on est au sommet de ses capacités. Donc là, le Maroc va jouer à la maison, cette fois en étant au sommet de sa forme, donc en étant capable de gérer la pression seulement. Et derrière le Maroc, qui voyez-vous comme équipes très très bien placées ? Je pense que le Sénégal ne devrait pas être mal placé. L’Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire… Et à un degré moindre l'Égypte et la Tunisie. Alors il y a cette CAN qui démarre dans quelques jours et puis il y a la Coupe du monde qui démarre dans six mois et où vont compétir au minimum neuf équipes nationales africaines, ce qui est quasiment le double des éditions précédentes. Est-ce qu'on peut dire que, aujourd'hui, le football africain est de plus en plus présent dans le football mondial ? Oui, le football africain est de plus en plus présent. Il faut se rappeler qu'à l'époque où il y avait seize participants, dans un premier temps, l'Afrique n'en avait aucun. Puis après, l'Afrique a eu un sur seize, ça fait très très peu. Et on a commencé à gagner un peu de positions, notamment grâce à la performance du Cameroun et de l'Égypte en 1990, en quart de finale [Les Camerounais avaient été éliminés aux portes des demi-finales par les Anglais, NDLR]. Et maintenant, le Maroc est allé en demi-finale [du Mondial 2022, NDLR] et on devrait continuer pour bousculer toujours la hiérarchie et se rapprocher du top, le top qui est un jour de gagner la Coupe du monde. Il y a cette nouvelle marque de respect du football mondial à l'égard de l'Afrique. Mais en même temps, les clubs européens qui comptent dans leurs rangs des internationaux africains ne seront forcés de les libérer qu'à partir de ce 15 décembre pour la CAN, alors que la règle habituelle, c'est que les joueurs sont libérés au moins deux semaines avant un grand tournoi international… Oui, mais l'Afrique a un problème particulier, c'est-à-dire, quel est le poids de l'Afrique ? Et là, en l'occurrence, quel est le poids de la Confédération africaine de football (CAF) vis-à-vis de la Fédération internationale (Fifa) ? Parce que l'Afrique est obligée de déplacer sa compétition pour plaire à la Fifa. L’Afrique est obligée d'accepter que les joueurs soient libérés tard pour plaire à la Fifa qui elle-même a subi la pression des clubs sans pouvoir y résister. Donc, les sacrifices sont toujours faits par les Africains et ça ressemble à d'autres domaines où on en demande toujours plus aux plus faibles. Donc, il faut se montrer un petit peu plus costaud. Donc c'est à la CAF de se battre. Ce n'est pas logique que ce qu'on accorde aux autres, on ne puisse pas l'accorder à l'Afrique. Mais pour ça, il faut gagner le respect des autres en tant qu'organisation. Il faudrait commencer en Afrique par décider quand a lieu la CAN, qu'elle ne soit pas un coup en été, un coup en hiver et puis un coup on ne sait pas trop quand. Non, il va falloir que la CAF travaille sérieusement pour avoir une position claire. Et vous n'êtes plus que le continent qui fournit la matière première. Au Cameroun, votre cher pays, le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, ne s'oppose pas au limogeage du sélectionneur belge Marc Brys par le président de la Fédération, Samuel Eto'o. Est-ce que c'est le signe d'un cessez-le-feu entre les deux hommes ? Chez nous, on dit : « Quand vous êtes au marigot et qu'un fou passe par là et vous prend vos vêtements pendant que vous êtes dans l'eau, ne lui courez pas après. » Donc, le ministre s'est dit : « Eh bien, on va laisser la fédération aller et faire comme elle veut », et comme ça il y a une trêve. Mais, je ne crois pas qu'elle soit favorable au football camerounais, parce que on va vite s'apercevoir de la limite des choix qui ont été faits. Il faudrait savoir qu'en Afrique, neuf fois sur dix, vous n'aurez pas de fédération sans l'État. Quand une fédération dit « non, laissez-nous, on va y aller tout seul », vous pouvez être sûr qu'elle va être en difficulté dès la première activité. Et donc, c'est dommage, mais je sais que les joueurs et tout le groupe ne passeront pas un moment tranquille. Parce que le retrait de l'État veut dire forcément le retrait de beaucoup de moyens, le retrait du soutien qui sera limité. À lire aussiTOUT SUR LA CAN 2025

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    Aminata Sarr, lauréate du prix L’Oréal-Unesco: «Les femmes ont leur place dans la science»

    13.12.2025

    À l’heure où le changement climatique menace les récoltes et les ressources en eau, une jeune chercheuse africaine propose une solution concrète. À 30 ans, la Sénégalaise Aminata Sarr vient d’être distinguée par le Prix international L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science, qui récompense chaque année 30 jeunes chercheuses africaines. Son innovation vise à produire davantage, avec moins d’eau et moins d’énergie — enjeu crucial pour les zones rurales du continent. RFI : quand est née votre passion pour les sciences ? Aminata Sarr : Cela a commencé dès le bas âge. J’ai toujours aimé tout ce qui est en rapport avec la nature. Même quand j’étais jeune, sur mon ordinateur, les images que je créais étaient toujours liées à la nature. Quand j’ai eu l’occasion de m’orienter vers la production végétale et agronomique, j’ai donc choisi d’aller à l’université pour étudier l’agriculture. Ensuite, j’ai poursuivi avec une thèse. J’ai commencé cette thèse au Burkina Faso, dans le domaine des énergies renouvelables. Je travaille actuellement sur la production agricole et énergétique, et sur l’efficience de l’utilisation des ressources en eau en agriculture. Beaucoup de femmes n’ont pas cette même opportunité. Êtes-vous bien vue par votre entourage ? C’est vrai que beaucoup de filles n’ont pas eu cette chance, surtout là d’où je viens. J’ai grandi à Saint-Louis, à Goxumbac, situé sur la Langue de Barbarie, une zone où vivent majoritairement des pêcheurs. Parfois, les filles ne vont pas à l’école ou alors, elles arrêtent très tôt. Moi, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a comprise. Il y avait ma maman, qui nous poussait à aller de l’avant, surtout dans les matières scientifiques. Il y avait aussi ma grande sœur, qui a commencé avant moi. Une fois à l’université, j’ai également rencontré un professeur qui m’a encouragée à aller de l’avant, notamment dans le domaine de la recherche. Aujourd’hui, je travaille sur les systèmes agrivoltaïques, qui permettent de faire de la production agricole et énergétique en même temps. Vous êtes citée en disant que la science peut créer un monde où les populations les plus défavorisées vivent dignement. Quelle solution avez-vous formulée pour contribuer à mettre fin à la faim en Afrique ? D’abord, il y a le système agrivoltaïque. C’est une technique qui permet à la fois la production agricole et énergétique sur une seule surface. Nous avons aussi constaté que, pour l’agriculture, il faut optimiser ces systèmes. Nous avons donc développé une méthode permettant de trouver la configuration qui maximise à la fois la production agricole et énergétique. Nous y avons également intégré un système d’irrigation automatisé, que nous avons développé pour assurer une utilisation plus efficace des ressources en eau. Vous parlez donc de panneaux solaires, de capteurs ? Oui. En ce qui concerne les ressources en eau, nous utilisons des capteurs connectés à des microcontrôleurs pour appliquer l’eau de manière automatique. Les quantités d’eau dont la plante a besoin sont ainsi appliquées automatiquement, sans intervention de l’agriculteur. À lire aussiQuatorze scientifiques africaines honorées par la fondation l'Oréal-Unesco   Les agriculteurs savent donc quand irriguer, combien d’eau utiliser et comment économiser l’eau ? Effectivement. Le système permet d’appliquer automatiquement la quantité d’eau dont la plante a besoin, uniquement au moment nécessaire. Seule la quantité strictement nécessaire est utilisée. Comment cette solution peut-elle concrètement contribuer à réduire la faim en Afrique ? Pour faire de l’agriculture, on a besoin d’eau, et les ressources en eau diminuent de plus en plus. Quand elles diminuent, la production agricole est en danger. Il y a donc un risque de baisse de la production. L’eau doit être utilisée de manière durable. Pour lever ces contraintes liées à l’accès à l’eau, nous avons travaillé sur la mise en place de systèmes d’irrigation automatisés afin de renforcer la production agricole et de faire face aux effets du changement climatique et à la surexploitation des ressources en eau. En milieu rural, les producteurs n’ont pas toujours une idée précise de la quantité d’eau à appliquer, ce qui peut conduire à une surexploitation. Ces systèmes permettent donc une utilisation plus durable de l’eau, et donc une agriculture plus durable. Quand vous dites que la science peut sortir les gens de la pauvreté, à qui pensez-vous en particulier ? A des familles, à des agriculteurs que vous avez rencontrés ? Je pense notamment aux populations en milieu rural. Les producteurs y tirent l’essentiel de leurs revenus de l’agriculture. La question est donc de savoir comment aider ces populations qui sont dans le besoin. C’est dans ce sens que je dis que la science peut permettre d’améliorer les conditions de vie des populations les plus défavorisées. Et, juste pour revenir sur votre prix, il s’accompagne d’une enveloppe de 10 000 euros. Quel usage comptez-vous faire de cet argent ? Cet argent sera utilisé pour vulgariser les résultats que nous avons obtenus, notamment à travers la participation à des conférences et la publication d’articles scientifiques. L’objectif est de permettre aux populations d’avoir accès à la méthode que nous avons développée. Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes filles africaines qui rêvent elles aussi de faire de la science, mais n’osent pas encore ? Que pouvez-vous leur dire pour les encourager ? Je veux leur dire que les femmes ont toute leur place dans la science. Elles peuvent rencontrer des contraintes et des difficultés, mais elles doivent croire en elles. Elles doivent toujours se forcer à aller de l’avant, à travailler encore davantage pour aller de l’avant.

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    Prof Jibrin Ibrahim (chercheur): «Le Nigeria, gendarme de l'Afrique de l'Ouest, dit stop aux putschs»

    12.12.2025

    « Pour arrêter un putsch, il faut que la Cédéao et les États voisins du pays touché interviennent immédiatement, sans laisser le temps aux putschistes de réussir leur coup », dit en substance l'universitaire nigérian Jibrin Ibrahim, cinq jours après les frappes aériennes du Nigeria contre les putschistes du Bénin. Le professeur Jibrin Ibrahim est chercheur principal au Center for Democracy and Development, le Centre pour la démocratie et le développement, à Abuja au Nigeria. Deux jours avant le prochain sommet de la Cédéao à Abuja, il présente la nouvelle stratégie de Lagos, au micro de Christophe Boisbouvier. RFI : Jibrin Ibrahim, l’intervention militaire du Nigeria au Bénin, est-ce que c'est le signe d'un retour de votre pays sur la scène ouest-africaine ? Jibrin Ibrahim : Oui, peut-être, comme dans les années 1980-1990, quand le Nigeria était très actif, comme policier de la démocratie et de la stabilité politique de l'Afrique de l'Ouest. Est-ce que l'ère du précédent président nigérian Muhammadu Buhari est terminée avec le président Bola Tinubu qui est en poste depuis 2023 ? Absolument. Le président Tinubu est plus actif que Buhari. Buhari ne voulait pas faire quoi que ce soit. Il était au palais présidentiel et il ne faisait pas grand-chose. Pourquoi le Nigeria est-il intervenu le 7 décembre 2025 contre les putschistes béninois et pas en juillet 2023, contre les putschistes du Niger ? Je pense qu’à Niamey, en 2023, le Nigeria a essayé d'intervenir après les faits et que c'était vraiment difficile, car le nouveau régime était déjà installé. Cette fois-ci, l'idée c’était d'intervenir avant que le coup d'État ne réussisse. Et je pense que c'est une question de méthode. Donc, la leçon de ces derniers jours, c'est que si le Nigeria et la Cédéao veulent empêcher des putschs, il faut intervenir immédiatement ? Exactement. C'est le seul moyen de réussir ce genre d'intervention. Est ce qu'il y a, derrière l'intervention de dimanche dernier, la volonté de mettre un coup d'arrêt à l'épidémie des coups d'État en Afrique de l’Ouest ? Oui, effectivement, il faut savoir qu'il y a un problème de base. Chaque régime actuellement en Afrique de l'Ouest a peur d'un coup d'État. Donc, c'est pour se protéger soi-même. Quand on regarde l'Afrique de l'Ouest actuelle, le Nigeria, le Togo, la Côte d'Ivoire et d'autres pays ont peur d'un coup d'État dans leur propre pays. Donc, protéger d'autres pays contre le coup d'État, c'est se protéger soi-même. Et pour arrêter ce risque, il faut intervenir chaque fois qu'il y a une tentative dans la région. Moi, je pense qu'il est important en Afrique de l'Ouest maintenant de développer une stratégie de ceux qui veulent maintenir la démocratie, qu'ils travaillent ensemble contre les forces de déstabilisation politique et l'arrivée des militaires au pouvoir. Lors du putsch en Guinée-Bissau le mois dernier, le Nigeria n'est pas intervenu militairement, mais il a décidé d'accorder tout de même l'asile politique à l'opposant Fernando Dias, qui est donc réfugié dans l'enceinte de votre ambassade à Bissau. Est-ce que c'est un message aux putschistes  Ça fait longtemps que le Nigeria fait comme ça. Félix Malloum, l'ancien président du Tchad, a été accueilli au Nigéria en 1979, je pense. Donc, il y a cette tradition au Nigeria d'essayer d'intervenir dans les conflits africains. Et quand il y a une crise qui touche le chef de l'État, le Nigeria est toujours prêt à offrir l'exil. Il y a un autre opposant qui proclame sa victoire à une présidentielle de cette fin d'année, c'est le Camerounais Issa Tchiroma Bakary. Depuis le 7 novembre, il s'est réfugié en Gambie. Mais pour aller de Garoua à Banjul, il a dû passer nécessairement par votre pays, non ? Il semble bien qu'il est passé par le Nigeria puisqu’il a traversé la frontière. Il est allé jusqu'à Yola et, à partir de Yola, on lui a donné un avion pour l'amener. C'est ce que les gens disent. Alors pourquoi le Nigeria ne lui a pas accordé l'asile politique ? Et pourquoi Issa Tchiroma a-t-il dû s'éloigner jusqu'en Gambie ? Le Cameroun est un voisin du Nigeria et il y a des questions sur la table. Il y a la guerre contre Boko Haram. Les deux pays sont obligés de travailler ensemble. Donc, avoir Tchiroma Bakary ici au Nigeria, cela peut poser des problèmes diplomatiques et politiques, il faut éviter cela et s'éloigner est peut-être la meilleure stratégie. À lire aussiTentative de coup d’État au Bénin: le chef de la diplomatie nigériane réagit à l’appui militaire d’Abuja À lire aussiTentative de coup d’État au Bénin: comment l’intervention de la Cédéao a été décidée

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Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.
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